Nous habitons tous un univers sonique partagé auquel nous contribuons par nos voix et les autres sons que nous produisons, avec ou sans instrument. Ces sons affectent d’autres personnes, parfois jusqu’au traumatisme, parfois jusqu’au plaisir extatique – et tout ce qui se trouve entre les deux. Un exemple extrême de cette efficacité est l’utilisation de la voix à l’opéra – une voix non amplifiée, résonnant dans l’espace du corps, peut remplir une salle de 2000 places et soulever les foules ! Que demander de plus ?
Comment l’état dit de TSA (“troubles” du spectre autistique) affecte les sons que nous produisons, leur appartenance à cette communauté de sons et comment les autres les perçoivent est un problème auquel je suis directement confrontée, puisque bon nombre des chanteurs avec qui je collabore sont atteints d’un TSA. Dans un de ses livres, Simon Baron Cohen classe l’autisme parmi plusieurs types neurologiques que nous habitons tous. Envisager l’autisme ainsi, comme partie intégrante d’une variété de façons d’être plutôt qu’une maladie – ou pire, un manque de moralité (par exemple, en décrivant quelqu’un comme “impoli”), change fondamentalement notre façon de l’intégrer dans notre monde musical. Bien sûr, l’autisme peut être associé à d’autres types de “handicaps”, mais il peut, même dans ce cas, être à l’origine d’une immense créativité. Cela fait 25 ans que je travaille avec des groupes de personnes en maison de repos atteintes d’un TSA, et il m’arrive encore d’être agréablement surprise de la variété et l’éloquence de leur expression vocale. Je me sens privilégiée de compter ces gens parmi mes amis. Lors d’une représentation de la Flûte enchantée, ils ont chanté et parfois improvisé leurs propres paroles et musiques, ou ont rejoint les autres sur scène.
Plus récemment, une jeune femme que je compte parmi mes élèves s’est présentée à un examen de chant où, malgré toute la documentation fournie et l’obligation légale au Royaume-Uni de “procéder aux ajustements raisonnables pour les personnes handicapées”, son TSA n’a pas été pris en compte. Nous n’avions reçu aucune indication quant à la procédure à suivre pour qu’il le soit. Personne ne semble être capable d’expliquer ce que ces “ajustements raisonnables” sont dans le cas de l’autisme, et ne parlons même pas d’une formation spécialisée pour l’examinateur ou les administrateurs ! C’est de la folie. Beaucoup de musiciens accomplis ont un TSA, et si nous ne comprenons pas comment gérer cela, nous nous privons d’une source importante de talent et de richesse musicale.
Operamint a pour projet de promouvoir un peu de la musicalité excentrique de cet ensemble de musiciens dans un nouveau groupe (GAK-in-the-box). Il s’agit d’un groupe d’hommes (et plusieurs aides) qui chantent, font du scat et laissent libre cours à leur créativité tout en s’éclatant, pour le plus grand plaisir de leurs auditeurs, les enfants compris ! L’extraordinaire projet ABLE du Berklee College of Music de Boston, Massachusetts, m’a encouragée à oser présenter leur musique au reste du monde.
Sara Clethero
Sara Clethero est Directrice d’Opera Mint. Auparavant, elle était Responsable du département de spécialisation en voix au London College of Music de 2005 à 2014. Elle a récemment terminé un doctorat en philosophie existentielle et chant à l’Université Brunel.
sara.clethero (at) operamint.co.uk
www.operamint.co.uk/
(1) R. Murray Schafer The Soundscape: Our Sonic Environment and the Tuning of the World Destiny books 1993
2 The essential difference: men, women and the extreme male brain (Penguin, London , 2004)