En conversation avec François Matarasso
Le mois dernier, James Bingham (Irish National Opera), membre du Conseil d’administration de RESEO, s’est entretenu avec François Matarasso, artiste, écrivain et consultant, sur l’art participatif, la co-création et le projet européen Traction.
Dans le secteur artistique, nous avons souvent tendance à aliéner les communautés en employant une terminologie qui prête à confusion. L’une des forces de François Matarasso est sa capacité à rendre le langage “intimidant” beaucoup plus accessible, ce qui est vital dans le cadre du travail auprès des communautés.
« Je voulais essayer de rendre notre travail plus simple et plus compréhensible. J’ai fini par m’arrêter sur le terme “art participatif”, afin d’englober notre travail dans toute sa diversité. Pour moi, un artiste est quelqu’un qui fait quelque chose, pas un “type” de personne. Quiconque fait de l’art est un artiste, de la même manière que quiconque prépare un repas est un cuisinier ».
La dernière publication de François Matarasso, « A Restless Art : How Participation Won, and Why It Matters » (non-traduit) aborde ces idées sous la forme d’un guide rédigé dans un langage de tous les jours sur les principes de l’art participatif. L’ouvrage explore les origines de la nécessité de l’art participatif et aborde les bonnes pratiques dans le secteur.
« Les origines de cette scission entre deux types de pratiques artistiques se trouvent dans les Lumières et l’invention de ce que l’on appelle les Beaux-Arts. Dès que l’on parle de beaux-arts, il y a automatiquement des formes artistiques qui ne rentrent pas dans cette catégorie, », a expliqué François. « Le concept de Beaux-Arts proposé par les Lumières a été très puissant, parce qu’il a émancipé la création artistique et, par extension, la création, des valeurs de l’Église et de l’État, ces deux grands centres de pouvoir et de valeur d’avant les Lumières. L’invention des Beaux-Arts nous a donné 200 ans d’une sorte de pratique artistique turbulente dans les pays riches d’Europe occidentale ».
Nous avons également discuté du parcours de François et de la manière dont il est entré dans le monde de l’art participatif et de la recherche. « Je suis tombé par hasard dans l’art participatif. Je suis allé dans une imprimerie communautaire pour faire imprimer des affiches. En réponse à la question « Pouvez-vous imprimer cette affiche pour moi ? », on m’a répondu « Non, mais nous pouvons vous montrer comment l’imprimer vous-même », et c’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à l’art participatif ».
« Je pense que j’ai toujours été intéressé par le changement social. J’aurais probablement été attiré de toute manière par le développement local, mais il se trouve que mes capacités et ma compréhension sont mieux déployées dans le secteur artistique. Ma recherche a été inspirée par plusieurs facteurs. Les bailleurs de fonds posant des questions de plus en plus difficiles. À la fin des années 80, mon travail n’était plus financé par le Ministère de la culture, mais par les ministères des services sociaux ou de l’éducation, qui nous demandaient d’expliquer quelle en était la valeur ».
La question de la finalité de l’art participatif a également été soulevée. « Pour moi, le but de l’œuvre commence avec l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dit que toute personne a le droit de participer à la vie culturelle de la communauté et de bénéficier de la vie culturelle. L’art et la culture aident les sociétés et les individus à construire des valeurs, à identifier ce qui a du sens, à définir ce en quoi ils croient, ce en quoi ils ne croient pas, ce qu’ils admirent et ce qu’ils rejettent. Je pense qu’il est essentiel en tant qu’être humain d’être capable de former et de partager vos valeurs culturelles ».
Sur la base de ces définitions, nous nous sommes penchés sur d’autres formats. Les spectacles télévisés, où les professionnels travaillent avec des non-professionnels, peuvent-ils être techniquement considérés comment étant une forme d’art participatif ? Cela a amené à des questions portant sur l’éthique et le pouvoir.
« Je pense que ce que vous décrivez est effectivement de l’art participatif, mais peut-être du mauvais art participatif. Comme pour tout ce que font les êtres humains, il y a du bon, du mauvais et beaucoup de médiocrité. L’une des raisons pour lesquelles j’ai appelé ce livre « A Restless Art » est qu’il y a toujours un certain degré de tension dynamique dans ce travail. Dès que vous réunissez des artistes professionnels et non professionnels, vous faites travailler ensemble des personnes ayant des niveaux de pouvoir très différents, ce qui provoque des problèmes en continu. Parfois, les gens pensent qu’il suffit de résoudre les problèmes éthiques pour continuer à travailler. En fait, c’est en résolvant les problèmes éthiques que vous travaillez : c’est ce qui fait sa valeur ».
Nous avons ensuite parlé du travail de François dans le cadre du projet européen Traction. « Traction » est un projet de recherche. Je pense que c’est la première distinction importante car il est financé par la Commission européenne, mais dans le cadre du programme Horizon 2020, voué à la recherche et d’innovation », a expliqué François, « Dans le domaine artistique, les gens sont habitués à ce que les projets soient financés par Europe Créative, un programme de production et d’échange artistique. Le fait que Traction soit un programme de recherche lui donne un caractère très différent. Il tente de répondre à la question de savoir si l’opéra peut être une voie d’inclusion sociale par le biais de l’engagement participatif et des processus de co-création, et si les nouvelles technologies peuvent soutenir ce processus de co-création. La grande question est donc de savoir comment l’opéra participatif peut contribuer à l’inclusion sociale. Et accessoirement, quel rôle la technologie peut-elle jouer à cet égard ?
Traction est un partenariat qui associe des instituts de recherche aux Pays-Bas, en Irlande et en Espagne à deux compagnies d’opéra : l’Irish National Opera et le Liceu Opera House de Barcelone, ainsi qu’une école de musique au Portugal, appelée SAMP. Il implique des universités à Barcelone et à Dublin aux côtés de François lui-même.
Matarasso s’intéresse à l’opéra depuis relativement peu de temps. Avec cette nouvelle perspective, nous avons discuté des défis propres à cette forme artistique dans un contexte participatif :
« En raison des exigences techniques de l’art lyrique, les opéras participatifs peuvent se retrouver avec des solistes professionnels et des chœurs non professionnels. Ce faisant, ils intègrent artistiquement la hiérarchie sociale qu’ils tentent de surmonter. C’est un piège et il est difficile à résoudre. L’un des meilleurs moyens de le résoudre, je pense, a été l’interprétation du Bach, de la Passion selon Saint Matthieu par Streetwise Opera et The Sixteen. Ils avaient réfléchi à la façon dont on peut mélanger les voix de non-professionnels (des personnes sans domicile fixe) avec les voix d’un des plus grands chœurs du monde sans faire quelque chose qui ne sonne pas bien. La solution qu’ils ont trouvée a été de dire que les membres de Streetwise Opera chanteront le rôle de Jésus. Lorsque les Pharisiens (chantés par The Sixteen) chantent avec toute leur habileté technique, ils sont presque en train de noyer la voix fragile de Jésus, et cela fait froid dans le dos. Je pense que c’était une façon très intelligente de gérer cela ».
Nous avons terminé par une question sur les priorités en matière de financements : Si François pouvait décider où allouer les fonds au cours des dix prochaines années, que ferait-il ?
« Je ferai ce que j’ai pu faire une fois auparavant, c’est-à-dire que je donnerai les fonds aux communautés pour qu’elles les dépensent comme elles l’entendent. J’ai travaillé sur un programme en Europe du Sud-Est sur le patrimoine vivant de la fin des années 90 à environ 2005. La chose essentielle que nous avons faite a été de donner aux communautés de petites sommes d’argent pour réaliser les projets qu’elles souhaitaient. Au début du projet, lorsque les gens me demandaient ce que vous entendiez par patrimoine, je leur demandais ce qu’ils voulaient dire. Je dirais que ça peut être une danse traditionnelle, un musée, un patrimoine naturel. Après quelques années d’apprentissage et de travail sur ce programme, j’ai changé ce que je disais aux gens et j’ai dit que le patrimoine est tout ce qui intéresse les gens. Ce qui compte, c’est l’attention qu’on lui porte. Si je pouvais vraiment faire une différence dans le système de financement de la culture, ce serait de permettre aux communautés de décider pour eux-mêmes. Je ne pense pas qu’elles feraient des choix pires que ceux qui sont faits en leur nom ».
Vous pouvez lire gratuitement « A Restless Art » sur le site web de François Matarasso : https://arestlessart.com/, où il blogue aussi régulièrement, et regarder notre conversation complète ici.